Nombreuses sont les affaires portées devant le juge par des riverains qui estiment subir un trouble anormal du voisinage en raison de l’installation d’antennes relais.
Les évolutions technologiques récentes couplées aux programmes de lutte contre la fracture numérique n’ont pas manqué de faire progresser le nombre d’antenne relais en France : selon les données de l’Agence nationale des fréquences (ANFR), la France compte aujourd’hui plus de 70 000 antennes relais contre 20 000 il y a 10 ans.
Cette augmentation ne s’est pas faite sans contestation et leur implantation soulève régulièrement des litiges au regard de leur proximité avec certaines habitations ou avec des lieux sensibles tels que des écoles ou des crèches.
Le droit français propose une multitude de régimes permettant d’appréhender les atteintes portées aux riverains par les antennes relais. Cependant, le régime des troubles anormaux du voisinage reste l’un des plus efficaces.
Chacun sait que la théorie du trouble anormal de voisinage puise son origine en tant que principe autonome dans le célèbre arrêt de la Cour de cassation du 19 novembre 1986 selon lequel : « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».
Ce régime est aujourd’hui consacré dans le Code Civil par la loi du 15 avril 2024 à l’article 1253. Cet article a en réalité repris les acquis jurisprudentiels et n’a presque rien apporté de nouveau.
Les conditions de mise en œuvre sont donc toujours les mêmes : la présence d’une faute ou d’une intention de nuire n’est pas requise, il faut seulement apporter la preuve d’un trouble anormal, c’est-à-dire la preuve d’une nuisance qui excède les inconvénients normaux, habituels et inhérents au voisinage.
L’un des seuls apports de la loi est l’ajout d’une liste des personnes pouvant être tenues comme responsables de ces troubles.
Il faut cependant rappeler de suite que ce même article prévoit une exonération soumise à différentes conditions. Ainsi, le trouble anormal ne peut être caractérisé si l’antenne relais était déjà présente avant l’arrivée du plaignant, que son installation et son fonctionnement sont en conformité avec les lois et règlements et que l’activité s’est poursuivie dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles n’aggravant pas le trouble.
Agir sur le fondement des troubles anormaux du voisinage implique nécessairement que l’antenne relais soit déjà installée, auquel cas le trouble n’est pas encore existant. Or, il est toujours possible d’agir antérieurement à l’installation de celle-ci par la voie d’un recours administratif, qu’il soit à titre gracieux ou contentieux. Cependant, tout le monde n’a pas connaissance de ces actions et ceux qui agissent à temps peuvent ne pas obtenir gain de cause.
Les riverains peuvent cependant, une fois l’antenne installée, agir devant le juge sur le fondement des troubles anormaux du voisinage pour espérer recevoir une indemnisation ou des mesures satisfaisantes.
Plusieurs préjudices peuvent être invoqués par les requérants : le préjudice de perte de jouissance, le préjudice esthétique, le préjudice résultant de la perte de valeur du bien etc…
Il faut d’abord noter qu’il n’existe pas un droit acquis à la conservation de sa vue. Ainsi, pour qu’un trouble anormal soit reconnu par les juges, il faut nécessairement plus qu’une simple privation de vue. Tout est donc affaire d’espèce et plusieurs éléments permettront au juge de prendre sa décision.
Il prendra en compte à la fois les caractéristiques de l’installation notamment sa taille et sa distance par rapport aux plaignants, mais aussi le cadre de vie de ces derniers, c’est-à-dire l’environnement dans lequel ils résident, un trouble anormal étant plus facilement reconnu dans un site rural que dans un environnement urbain banal.
Par exemple, la Cour d’Appel d’Agen en date du 7 avril 2021 n° 18/00454 a jugé qu’une antenne d’une hauteur de 27 mètres et situé à 10 mètres de la limite de propriété des plaignants ne constituait pas un trouble excessif. En effet l’antenne n’était que partiellement visible et un pylône électrique de moindre taille était déjà présent et visible de leur propriété.
Le tribunal Judiciaire de Draguignan a également rendu un arrêt fort intéressant le 12 juillet 2024 n° 21/00911 : il a caractérisé un trouble visuel excessif par la présence d’une antenne-relais de 14,90 mètres de hauteur partiellement dissimulée par la végétation et installée sur la parcelle voisine à 32 mètres de leur habitation. Selon les juges, cette construction créait incontestablement une vue disgracieuse qui s’imposait aux habitants des lieux de par sa proximité avec leur habitation.
Le juge peut également tenir compte du camouflage de l’installation et de son lieu d’implantation pour prendre sa décision. Si, dans certains cas, ces éléments ne suffisent pas à dissimuler la gêne visuelle, ils peuvent parfois suffire à éviter la caractérisation d’un trouble anormal du voisinage.
C’est en ce sens que la CA de Douai le 9 mars 2023 n°21/03622 a jugé que l’installation occasionnait certes un préjudice esthétique mais qu’il n’était pas de nature à caractériser un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage au regard du fait que le pylône, mesurant 45 mètres et installé à 120 mètres des maisons, était camouflé par un mât dissimulant les antennes et était implanté dans un espace boisé permettant d’en masquer la partie inférieure.
En outre, si l’installation d’une antenne peut constituer un trouble anormal du voisinage, le seul fait de rehausser l’installation ou d’y rajouter des éléments peut également constituer un trouble. C’est notamment ce qu’a jugé la Troisième chambre civile de la Cour de cassation le 28 juin 2018 (n°17-18.111) : la hauteur du pylône avait été portée de 15 à 22 mètres et cela causait aux habitants un préjudice de vue et une dépréciation de leur propriété qui excédaient les inconvénients normaux du voisinage et justifiaient une indemnisation.
La mise en place d’une antenne-relais peut, dans certains cas, constituer un trouble anormal lorsque les biens immobiliers à proximité de celle-ci voient leur valeur diminuée. Cependant, le juge tend difficilement à admettre la perte de valeur d’un bien immobilier en raison de l’installation d’une antenne. Il faut d’abord faire expertiser la perte estimée.
L’arrêt du tribunal de Draguignan précité avait apporté une précision sur ce point. Après avoir rappelé « qu’il est manifeste que la présence d’une antenne-relais n’accroît pas la valeur vénale d’un bien en raison des doutes sur l’innocuité des émissions pour la santé, ainsi que du caractère inesthétique d’une telle installation (Cf. CA Bordeaux, 5ème Ch. 20 septembre 2005, 04/1348) », les juges précisent que l’estimation de la perte de valeur du bien fixé à 10% par un avis isolé d’agence immobilière est insuffisamment probante et ne saurait être retenue.
En outre, les juges ont pris en compte dans leur raisonnement l’absence de mise en vente par les demandeurs de leur maison. Les demandeurs n’ont été indemnisés qu’à hauteur de 10 000 euros au lieu des 36 000 euros réclamés.
Toutefois, si plusieurs expertises tendent à démontrer la perte de valeur du bien et que la présence de l’antenne crée en plus d’autres préjudices (perte de vue, d’intimité…), le juge sera amené à indemniser les plaignants.
Il est admis depuis longtemps en jurisprudence que les nuisances sonores provoquées par un voisin ou une installation peuvent constituer un trouble anormal. C’est notamment ce qu’a rappelé la Cour d’appel de Versailles le 15 mai 2025, 22/04705 ayant admis l’anormalité du trouble pour la répétition et l’intensité des bruits émis par une antenne relais.
Le contentieux majeur autour des antennes-relais découle des préoccupations des riverains quant à leurs effets potentiels sur leur santé.
Cependant, aucune étude scientifique rigoureuse et consensuelle n’a réussi à démontrer de manière sûre que les antennes-relais sont dangereuses pour la santé humaine, tant que les expositions restent dans les limites réglementaires (voir Décret n° 2002-775 du 3 mai 2002).
Cela n’a pas empêché les tribunaux d’être saisis par des riverains inquiets pour leur santé, d’autant que le simple risque peut suffire à caractériser un trouble anormal du voisinage comme l’a rappelé une nouvelle fois la Cour de cassation à propos d’un arbre menaçant de tomber (1re civ. Cass, 1er mars 2023, n° 21-19.716).
Par conséquent, dans 2 arrêts importants, les tribunaux ont reconnu la présence d’un trouble anormal de voisinage en raison de la crainte des voisins d’une antenne-relais de développer des problèmes de santé à cause des ondes émises :
Au même moment, le juge administratif était lui aussi saisi de litige similaire mais il rejetait systématiquement ces demandes (Conseil d’Etat, 2 juillet 2008, n°310548). Selon le Conseil d’Etat, en l’absence de risques graves et avérés pour la santé publique, il n’y avait pas lieu de suspendre l’installation de l’antenne relais.
Ainsi, les citoyens victimes de ces installations se dirigeaient vers le juge civil, plus favorable à entendre et reconnaître leurs préjudices liés au risque que les ondes peuvent avoir sur leur santé.
Cependant, le tribunal des conflits est venu mettre un terme en grande partie à la compétence du juge civil pour ce litige (T. confl. 14 mai 2012, n° C3844) : désormais le juge judiciaire n’est plus compétent pour connaitre des actions qui tendent à empêcher l’installation, interrompre le fonctionnement, ou ordonner le déplacement d’une antenne relais légalement autorisée, lorsque le plaignant estime que son fonctionnement est supposé présenter un risque pour sa santé.
Par conséquent, si le voisin d’une antenne relais saisit le juge civil, ce dernier devra se déclarer incompétent et la cour de Cassation ne manque pas de le rappeler (Civ. 1re, 17 oct. 2012, no 10-26.854) : le juge judiciaire n’est plus compétent pour connaitre des litiges relatifs au démantèlement d’une antenne pour cause de problèmes afférents à la protection de la santé publique et aux brouillages.
Cependant, la Cour de cassation peut toujours enjoindre l’exploitant d’assurer la protection des plaignants notamment en l’obligeant à édifier un blindage de l’appartement pour limiter l’impact éventuel des ondes (même arrêt).
Le Conseil d’Etat reste en revanche sur sa position et estime toujours qu’il n’y a pas d’éléments démontrant l’existence d’un risque pour la santé humaine lorsque l’antenne respect les prescriptions légales et réglementaires (CE, 31 décembre 2020, Syndicat CFE CGC Orange et autres, n°438240).
Pour conclure, plusieurs préjudices (perte de valeur du bien, perte d’intimité, perte esthétique…) peuvent donc être invoquées devant le juge en vue d’obtenir une indemnisation ou la mise en place de mesure visant à réduire en partie ou en totalité le trouble.